Infirmiers de Pratique Avancée : une pause et des rectificatifs s’imposent

Note du collectif infirmiers spécialisés et IPA

La récente et laborieuse insertion du dispositif infirmiers de pratique avancée (IPA) dans le système de santé français a été relevée dans le rapport IGAS « trajectoires ». Au sein du groupe de travail sous l’égide de l’IGAS, les professionnels eux-mêmes font état de leurs nombreuses et fortes difficultés.

Un constat s’impose : le dispositif actuel « IPA » ne fonctionne pas bien et l’adhésion des autres professionnels de santé n’est pas là. La faute n’en revient sûrement pas aux professionnels engagés sur cette voie que le ministère avait vendue comme miraculeuse !

De fait, les nombreuses alertes de la CGT, qui a toujours refusé la démagogie vis-à-vis des professionnels infirmiers, étaient bien justifiées.

La CGT n’a en effet cessé de dénoncer un dispositif IPA hybride prétendant s’inspirer des systèmes étrangers qui ont fait leurs preuves depuis longtemps, mais construit en France sur un autre paradigme et de mauvais objectifs : économies budgétaires, gain de temps médical, mise en place des mesures palliatives de la carence en personnel médical (qui se majorera jusqu’en 2035) ou de la désertification médicale de certaines zones.

Les IPA expriment leurs difficultés. Ils représentent 0,7 % des infirmiers, beaucoup n’exercent pas en tant que tels et les candidatures pour entrer en formation semblent marquer le pas. Cela dépeint un tout autre tableau que la révolution annoncée par le ministère menée par une poignée de « super infirmiers » qui, à eux seuls, allaient sauver le système de santé.

Encore une fois, les IPA ne sont pour rien dans ce constat et quelques éléments éclairent cette problématique :

  • Une formation hétéroclite d’une mention à l’autre et d’une faculté à l’autre.
  • Un dispositif législatif corseté qui exclut certains lieux d’exercice et qui en plus les coupe de professionnels qui étaient déjà en pratique avancée paramédicale, qui avaient fait leur preuve et pouvaient éclairer le chemin.
  • Des textes réglementaires inadaptés qui les privent de possibilités nécessaires à leur exercice, mais en accordent d’autres délirantes. Les derniers textes autorisent ainsi de nouveaux gestes aux IPA qui sont peu familiers des médecins même expérimentés ! Comment assurer la sécurité des soins en diluant la pratique de certains actes peu fréquemment réalisés ?
  • Un manque cruel de concertation lors de l’élaboration des textes généraux sur la Pratique avancée et sur les IPA et de ceux des différentes mentions. C’est un fait, la plupart des réunions se sont tenues dans l’entre-soi et ça se paie cash aujourd’hui.

 

Face à ce constat, à peine 3 ans après la sortie des premiers IPA, au lieu de faire une pause et de s’interroger, on va toujours plus vite et plus loin.

Quelques rappels s’imposent :

  • La pratique avancée n’est pas une spécialité ou une science : c’est une praxis paramédicale plus autonome (et non-indépendante) qui doit, dans l’intérêt bien compris du patient, s’appuyer sur une parfaite conscience de ses limites, mais aussi d’une connaissance suffisante de la/des spécialité.s médicale.s qu’elle mobilise
  • Il n’est pas légitime de parler d’une « plus- value » des IPA dans le parcours patient s’ils n’interviennent pas en complément mais en substitution des professionnels médicaux.
  • Le libre choix du patient doit être respecté ce qui implique que l’offre médicale soit non seulement maintenue, mais adaptée aux besoins et non compensée ou remplacée par des IPA.

Dans l’intérêt des patients, comme des professionnels, la CGT demande notamment :

  • Un moratoire sur la PA
  • Que le rapport « trajectoire » soit complété par vraies études scientifiques qui évaluent avec suffisamment de recul le bénéfice (et non la satisfaction) pour les patients comme les professionnels du dispositif français et explore les correctifs à réaliser.
  • Une homogénéisation des durées, des contenus et des conditions de formation incluant un nombre plancher d’heures de formation en présentiel, la garantie que l’enseignement clinique de deuxième année ne se limite pas à un stage dans son établissement d’origine et la limitation dans le temps du dispositif de formation en alternance.
  • Un recrutement des étudiants par concours comportant une épreuve écrite anonyme.
  • Le respect du choix du patient.
  • Que le concept IPA développe réellement la pratique infirmière et son autonomie, mais ne dérive pas vers une sous-pratique médicale, au final encore plus sous contrôle des médecins, tant sur le plan de la pratique que sur celui de la formation.

 

 

La CGT alerte par ailleurs sur l’expérimentation issue de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2022 accordant aux IPA pour 3 ans et dans 3 régions un droit de primo-prescription et l’accès du patient aux IPA en premier recours.

La CGT relève qu’il n’est pas anodin que cette expérimentation soit portée non par une loi santé, mais par une loi qui cadre les dépenses de santé.

Pour autant, si la primo-prescription ne doit effectivement pas être un tabou (elle existe déjà pour tous les infirmiers, la encore, on réinvente l’eau chaude !) il convient de la limiter à ce qui est strictement nécessaire aux missions actuelles des infirmiers et des IPA, à la prévention et à l’éducation à la santé.

L’accès direct aux IPA est, lui, dangereux.

À peine 3 ans après la sortie des premiers IPA, c’est une nouvelle fuite en avant qui fait tomber toutes les garanties données à la sortie des textes législatifs des AMPA et du cadre réglementaire initial des IPA. Cela ouvre en grand la porte au non-respect par défaut du choix du patient et à une réelle ubérisation de notre système de santé.

Cela tend à transformer les IPA en officiers de santé, profession née au 19ème siècle pour palier un manque de médecin et dont personne n’a regretté la disparition 100 ans plus tard.

La CGT est donc opposée à cet accès direct, sauf dans le cadre strict de démarches de prévention et d’éducation à la santé.

Elle s’opposera à toute tentative d’extension par anticipation de cette expérimentation qui doit rester dans un cadre sécure pour le patient. Elle sera vigilante à ce qu’une vraie évaluation soit réalisée à son issue et avant tout élargissement ou généralisation.

L’architecture actuelle des professions de santé a participé au fait que notre système de santé a longtemps été le meilleur au monde. Avec le temps et dans l’intérêt premier du patient, des points d’équilibre avaient été trouvés entre les missions et rôles de chacun.

Des évolutions prudentes et sur les bons objectifs peuvent avoir lieu dans le respect mutuel de tous les professionnels de santé, comme de l’intérêt général.

Or, de réformes en réorganisations et de fausses nouvelles bonnes idées en changement de paradigme brutaux, nous sommes aujourd’hui tombés à la 15ème place et les indicateurs de santé sont mauvais ou se dégradent dans de nombreux domaines.

De même les conditions d’exercice des professionnels comme celles de prise en charge des patients ne cessent de se dégrader.

Cela doit rappeler l’impérieuse nécessité que priorité doit être donnée à la plus grande prudence et au bannissement de toute précipitation, parfois teintée de clientélisme.

Au-delà des ambitions corporatistes, la mise en œuvre jalonnée de points d’étape s’appuyant sur ce qui existe déjà et fonctionne parfaitement devrait s’imposer à tous lors de l’insertion de nouveaux dispositifs au sein de notre système de santé. ■

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Publié le :
21 avril 2022

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